mardi 7 juin 2011

Afrique: plaidoyer pour une diplomatie scientifique

Godefroy Macaire CHABI

Il y a quelques mois, un chercheur africain présent au Canada soulignait avec force et conviction quelque chose qui ne va probablement signifier grand-chose à beaucoup de personnes. Ce chercheur à l’observation du gâchis que représentait à ses yeux la présence non capitalisée de scientifiques africains en Occident a évoqué la nécessité pour les pays africains de créer des postes d’ambassadeurs scientifiques dans les pays du Nord.
Voilà une banalité qui sonnera davantage molle dans la conscience d’une certaine opinion pour qui les chercheurs africains sont peu utiles pour le continent et qu‘on pourra s‘en passer sans que l‘ordre du monde ne souffre du moindre problème. Pertinent, lorsqu’effectivement l’on observe le peu d’impact de la recherche scientifique sur le développement et le progrès social en Afrique. Aux yeux de l’observateur moyen, pendant des décennies, la recherche s’est beaucoup enfoncée dans un enfermement pathologique qui n’a offert aucune perspective réelle pour les pays africains. A quoi servirait alors l’idée d’ambassadeurs scientifiques africains qui ne feraient que gonfler les postes budgétaires déjà mal-en-point des « pauvres »?

Mais il semble bien que pour ce chercheur et pour nombre de ses collègues partageant la même ligne de pensée, la réalité est drastiquement plus sérieuse. Partant de la personnalité du chercheur en question, il est juste d’accorder ne serait-ce qu’une once de pertinence à cette idée. En effet, il vient pour le compte du Québec de conclure, dans le cadre du laboratoire auquel il participe, un impressionnant travail sur les prédictions climatiques, applicable à l’échelle du Canada. Et lui de se demander : et mon pays? Et mon continent?

Surtout lorsqu’on sait que les contrecoups climatiques actuellement observés dans de nombreuses parties du continent ne sont que la partie visible de l’iceberg et généralement mineurs par rapport à ce qui pourrait arriver, si la passivité des politiques se poursuit. Surtout aussi si l’on s’aperçoit que la prise de conscience n’est pas encore totale.

Au-delà de la personne d’un chercheur isolé, il est important de voir derrière le plaidoyer, l’image de nombreux autres scientifiques qui se posent des questions similaires, en un mot la question de leur utilité pratique.
Yacine Kadi, chercheur algérien du Centre européen pour la recherche nucléaire n’a vraiment pas eu besoin de se concerter avec notre premier chercheur pour avancer qu’il s’agit d’un grand problème face auquel il y a lieu d‘afficher un réalisme.
Selon lui de nombreux chercheurs établis en Occident, de peur de perdre leur visibilité dans la recherche (en raison d’un manque d’infrastructure) pour n’avoir enfin qu’un sentiment de gâchis préfère ne pas bouger. Le but du jeu souligne t-il est de profiter de leur position et de leur réseau pour aider l’Afrique.

Le dialogue, comme propulseur

La clé, c’est déjà la prise de conscience par les États africains de l’enjeu. Cela passe par un dialogue fréquent et fructueux avec le monde des chercheurs africains éparpillés un peu partout dans le monde. C’est la première étape qui montrera l’envie des pays à profiter d’eux et surtout à travers eux, des conditions de recherche internationale.
Mais il y a, à la vérité, une espèce de coupure exécrable entre les États et leurs chercheurs « étrangers ». Sans ce préalable, il peut paraître encore illusoire de miser sur le réalisme d’un tel projet. Car jusque-là ce ne sont pas les énonciations qui manquent.

L’apport des scientifiques africains a été de toute époque évoqué. Et quand vient l’heure de passer à la vitesse supérieure, tout le monde a déjà oublié, les politiques en premier. Loin surtout l’idée de jeter la pierre à la structure politique chaque fois que quelque chose ne marche pas. Mais dans ce cas précis, osons dire vrai.

Redessiner la coopération
C’est la voie pour permettre aux pays africains d’intégrer leur diaspora scientifique dans le jeu. Même s’il est conféré à la diplomatie classique le droit de s’ouvrir à ce domaine de coopération, il arrive le moment de donner à la coopération scientifique un statut particulier dans les instruments de développement diplomatique entre le Nord et le Sud.

L’avantage c’est de sortir les questions du fouillis des nombreuses autres questions de coopération. Car l’enjeu de la science et des technologies pour les pays africains n’est pas à analyser sous le prisme d’une finalité de plaisir, mais de nécessité et d’instrument de vitalité et de développement social. Pour cela, l’idée de créer des postes d’ambassadeurs scientifiques d’une part dans les pays du Nord (afin de faciliter la délocalisation rapide de la technologie grâce à des aidants) d’autre part entre pays en développement (pour créer un système d’échanges internes) me semble justifiable et d’une vraie actualité.

Autant les chercheurs africains vont avoir la possibilité d’aider à combler légèrement le fossé en termes de recherche entre l’Afrique et le monde développé ou en émergence, autant ils s’offriront un mécanisme leur permettant de rapidement convertir leurs travaux en bienfaits dont tireront profit les populations sur le terrain. Combien ne sont-elles pas ces universités et les laboratoires en Afrique à vivre une torpeur inimaginable, par manque d’interface immédiate et prompte? Combien de centres de recherche typiquement africains ne sont-ils pas envahis par les herbes, au mieux des cas, s’ils ne sont pas transformés en épiceries, ne pouvant plus aller loin et préférant rompre les amarres?.

Probablement, pour sauver les meubles, il faut des ambassadeurs scientifiques.

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