jeudi 9 juin 2011

Le nucléaire, l’énergie « des pauvres »

Godefroy Macaire Chabi

L’enjeu est de taille. L’appétit mondial pour l’électricité connaît un accroissement qui inquiète le monde scientifique. La tendance va malheureusement se poursuivre et une réflexion sérieuse doit être menée sur les options technologiques possibles pour produire, distribuer et stocker l‘ électricité. Autrement, les prochaines décennies donneront du fil à retordre à toute la planète.

Des chercheurs réunis au Perimeter Institute à Waterloo du 05 au 09 juin à l‘initiative du Waterloo Global Science Initiative, ont alors exploré les voies et moyens pour garantir l‘avenir énergétique du monde, à un échéancier aussi court que 2030. Cette fois-ci, le problème est analysé à partir d‘une perspective scientifique. Même si trois approches technologiques ont émergé, c‘est surtout l‘exploration du nucléaire qui représente la pierre de touche de la réflexion. Les deux autres voies possibles étant en définitive les sources géothermiques et les énergies renouvelables.

Agir vite, semble le mot d’ordre des chercheurs au regard du contexte et des défis subséquents. D’ici à 2050, la demande mondiale d’électricité va doubler de 16,5 térawatts à 30 térawatts. Objectif colossal. Derrière ce défi se cache bien d’autres dont le plus important reste la limitation de l’émission du carbone dans les formes d’énergie à privilégier.

L’autre enjeu est celui du coût relié à l’accès à l’énergie. Le chercheur algérien au Centre européen pour la recherche nucléaire, CERN basé à Genève en Suisse fait partie de ceux qui donnent l’alerte sur la question.
« Il est clair que nous paierons notre énergie beaucoup plus chère d’ici à 2030, en même temps que nous n’en aurons pas assez » a t-il prévenu.

Effectivement, la facture énergétique sera trop élevée pour le monde dans les prochaines années avec l’augmentation progressive du prix de certaines énergies fossiles, actuellement prisées et dommageable à l‘environnement. Un coût que les pays développés et quelques autres nations émergentes pourront facilement supporter, ce qui ne sera le cas des pays pauvres, précise Yacine Kadi

« On ne peut pas s’affranchir totalement du nucléaire », a ajouté un chercheur australien présent aux discussions.

Le nucléaire « propre», un succédané

S’il y a un exploit à mettre sur le compte du sommet scientifique à Waterloo, l’Equinox Summit Energy 2030, c’est d’avoir pu réellement assumer l’idée d’une énergie « verte et propre », même si ce n’est pas très nouveau. Le chercheur du CERN Yacine Kadi a surtout rappelé à ses pairs la nécessité d’explorer « une source dont la densité est élevée». « C’est une source primaire qui permet de produire de l’électricité d’une manière abondante », a notamment indiqué M. Kadi

Le document final de la réunion a surtout campé le ton sur les capacités de faible émission de carbone à large échelle du nucléaire.

Selon de nombreux chercheurs, c’est la seule voie pour fermer le cycle du combustible dangereux.
Reste à évaluer les contrecoups. Car les reproches faits à l’industrie sont toujours présents et concernent sa sécurité et les déchets radioactifs qu’elle génère.

« Le bémol, affirme M. Kadi, c’est que l’énergie nucléaire a des problèmes, on n’est pas à l’abri d’un accident catastrophique, et elle produit des déchets nucléaires et sa conception est basée sur l’uranium et le plutonium, mais nous avons les moyens, les technologies pour nous affranchir de ces fléaux et rendre le nucléaire plus propre, vert et démocratique, un nucléaire qu’on pourrait déployer partout dans le monde ».

La révolution s’appelle thorium

S’il est désigné par provocation comme « le nucléaire des pauvres », c’est surtout parce qu’on a voulu en rajouter à la nécessité de regarder dans cette direction si l’on tient à faire du nucléaire propre et sans danger. Notamment en raison de son seuil assez faible de risques, fait-on remarquer.

« Le combustible nucléaire beaucoup plus abondant et qui nous empêcherait de produire du plutonium, c‘est le thorium, a notamment expliqué M. Kadi avant de préciser « qu’en combinant cela avec un accélérateur de particules, il est possible de prévoir le fonctionnement des réacteurs en mode sous critique ce qui nous permettrait d’avoir des niveaux de sûreté et de s’affranchir de possibles accidents »

Il y a ici l’avantage en y optant de lever la confusion entre le nucléaire comme élément d’influence militaire et facteur de développement économique.

« Si on le démocratise et le dédiabolisons pour le rendre plus accessible il peut durer pendant des années et peut être une source sûre », a rassuré M. Kadi

« Je pense que si on regarde la manière dont le nucléaire s’est développé à travers le monde, c’est une industrie surveillée, institutionnalisée, qui ne nous met pas à l abri certes, mais c’est très régulé » a t-il poursuivi .

Le mix énergétique

Le problème de l’énergie est urgent et pour le régler il est impossible d’attendre.

L’horizon 2030 est trop éloigné, reconnaissent les chercheurs, mais c’est le compromis idéal entre l’urgence à trouver des sources énergétiques pour la consommation mondiale et les moyens à réunir pour y parvenir.

Pour les pays en développement, notamment ceux d’Afrique, « l’établissement du nucléaire ne se fera pas en se claquant le doigt, cela passera par la formation et une culture du nucléaire, il faut alors profiter de ce temps pour mettre en place cette culture et planifier », a fait remarquer Yacine Kadi.

Penser également à un mix énergétique qui intègre les énergies renouvelables en attendant de faire un choix du futur est le plaidoyer provisoire et réaliste, selon le Professeur Eric Prouzet de l’Institut de nanotechnologie de l’Université de Waterloo au Canada .

« Pour les pays en développement que pour ceux développés, rien n’est à négliger. Tout est à prendre en considération, car tout contribue pour l’heure à la solution », a fait remarquer M. Prouzet.

mardi 7 juin 2011

Afrique: plaidoyer pour une diplomatie scientifique

Godefroy Macaire CHABI

Il y a quelques mois, un chercheur africain présent au Canada soulignait avec force et conviction quelque chose qui ne va probablement signifier grand-chose à beaucoup de personnes. Ce chercheur à l’observation du gâchis que représentait à ses yeux la présence non capitalisée de scientifiques africains en Occident a évoqué la nécessité pour les pays africains de créer des postes d’ambassadeurs scientifiques dans les pays du Nord.
Voilà une banalité qui sonnera davantage molle dans la conscience d’une certaine opinion pour qui les chercheurs africains sont peu utiles pour le continent et qu‘on pourra s‘en passer sans que l‘ordre du monde ne souffre du moindre problème. Pertinent, lorsqu’effectivement l’on observe le peu d’impact de la recherche scientifique sur le développement et le progrès social en Afrique. Aux yeux de l’observateur moyen, pendant des décennies, la recherche s’est beaucoup enfoncée dans un enfermement pathologique qui n’a offert aucune perspective réelle pour les pays africains. A quoi servirait alors l’idée d’ambassadeurs scientifiques africains qui ne feraient que gonfler les postes budgétaires déjà mal-en-point des « pauvres »?

Mais il semble bien que pour ce chercheur et pour nombre de ses collègues partageant la même ligne de pensée, la réalité est drastiquement plus sérieuse. Partant de la personnalité du chercheur en question, il est juste d’accorder ne serait-ce qu’une once de pertinence à cette idée. En effet, il vient pour le compte du Québec de conclure, dans le cadre du laboratoire auquel il participe, un impressionnant travail sur les prédictions climatiques, applicable à l’échelle du Canada. Et lui de se demander : et mon pays? Et mon continent?

Surtout lorsqu’on sait que les contrecoups climatiques actuellement observés dans de nombreuses parties du continent ne sont que la partie visible de l’iceberg et généralement mineurs par rapport à ce qui pourrait arriver, si la passivité des politiques se poursuit. Surtout aussi si l’on s’aperçoit que la prise de conscience n’est pas encore totale.

Au-delà de la personne d’un chercheur isolé, il est important de voir derrière le plaidoyer, l’image de nombreux autres scientifiques qui se posent des questions similaires, en un mot la question de leur utilité pratique.
Yacine Kadi, chercheur algérien du Centre européen pour la recherche nucléaire n’a vraiment pas eu besoin de se concerter avec notre premier chercheur pour avancer qu’il s’agit d’un grand problème face auquel il y a lieu d‘afficher un réalisme.
Selon lui de nombreux chercheurs établis en Occident, de peur de perdre leur visibilité dans la recherche (en raison d’un manque d’infrastructure) pour n’avoir enfin qu’un sentiment de gâchis préfère ne pas bouger. Le but du jeu souligne t-il est de profiter de leur position et de leur réseau pour aider l’Afrique.

Le dialogue, comme propulseur

La clé, c’est déjà la prise de conscience par les États africains de l’enjeu. Cela passe par un dialogue fréquent et fructueux avec le monde des chercheurs africains éparpillés un peu partout dans le monde. C’est la première étape qui montrera l’envie des pays à profiter d’eux et surtout à travers eux, des conditions de recherche internationale.
Mais il y a, à la vérité, une espèce de coupure exécrable entre les États et leurs chercheurs « étrangers ». Sans ce préalable, il peut paraître encore illusoire de miser sur le réalisme d’un tel projet. Car jusque-là ce ne sont pas les énonciations qui manquent.

L’apport des scientifiques africains a été de toute époque évoqué. Et quand vient l’heure de passer à la vitesse supérieure, tout le monde a déjà oublié, les politiques en premier. Loin surtout l’idée de jeter la pierre à la structure politique chaque fois que quelque chose ne marche pas. Mais dans ce cas précis, osons dire vrai.

Redessiner la coopération
C’est la voie pour permettre aux pays africains d’intégrer leur diaspora scientifique dans le jeu. Même s’il est conféré à la diplomatie classique le droit de s’ouvrir à ce domaine de coopération, il arrive le moment de donner à la coopération scientifique un statut particulier dans les instruments de développement diplomatique entre le Nord et le Sud.

L’avantage c’est de sortir les questions du fouillis des nombreuses autres questions de coopération. Car l’enjeu de la science et des technologies pour les pays africains n’est pas à analyser sous le prisme d’une finalité de plaisir, mais de nécessité et d’instrument de vitalité et de développement social. Pour cela, l’idée de créer des postes d’ambassadeurs scientifiques d’une part dans les pays du Nord (afin de faciliter la délocalisation rapide de la technologie grâce à des aidants) d’autre part entre pays en développement (pour créer un système d’échanges internes) me semble justifiable et d’une vraie actualité.

Autant les chercheurs africains vont avoir la possibilité d’aider à combler légèrement le fossé en termes de recherche entre l’Afrique et le monde développé ou en émergence, autant ils s’offriront un mécanisme leur permettant de rapidement convertir leurs travaux en bienfaits dont tireront profit les populations sur le terrain. Combien ne sont-elles pas ces universités et les laboratoires en Afrique à vivre une torpeur inimaginable, par manque d’interface immédiate et prompte? Combien de centres de recherche typiquement africains ne sont-ils pas envahis par les herbes, au mieux des cas, s’ils ne sont pas transformés en épiceries, ne pouvant plus aller loin et préférant rompre les amarres?.

Probablement, pour sauver les meubles, il faut des ambassadeurs scientifiques.