samedi 26 juillet 2008

BÉNIN: Des distributeurs de préservatifs à l’abandon

COTONOU, 26 juin 2008 (PlusNews) - Cela fait près de 10 minutes que Placide introduit une pièce de 50 francs CFA (0,10 dollar) dans le distributeur automatique de préservatifs installé dans le grand hall de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB), mais la machine refuse obstinément de lui délivrer le paquet de préservatif espéré. Placide se fait aider, mais rien n’y fait. Avant lui, Gérard, un visiteur de passage a fait le même constat dans plusieurs administrations. « Vous constaterez la même chose ailleurs, on ne sait pas pourquoi c’est comme cela. J’ai bien le sentiment qu’on les a mis pour orner le décor », a critiqué Gérard. « Pourtant dans ce périmètre, on sait bien que les prostituées sont nombreuses à racoler les clients la nuit », a commenté David Mégnigbèto, conducteur de véhicule à l’ORTB. Certains distributeurs semblent en effet avoir fait leur temps au Bénin. Une cinquantaine d’entre eux ont été installés dans différents lieux stratégiques du pays depuis le début des années 2000, mais aujourd’hui, beaucoup d’entre eux ne fonctionnent plus.

De l’euphorie à la désillusion

L’initiative avait été mise en œuvre à l’origine par le projet ‘Santé, service sociaux au profit des adolescents et des jeunes’ (3S ADOS) et OSV-Jordan, une ONG médicale spécialisée dans la santé de la reproduction et la sensibilisation sur le VIH/SIDA, avec l’appui financier du Fond des Nations Unies pour la population (FNUAP). « Nos premiers distributeurs ont été installés entre 2000 et 2001 dans les zones à forte affluence et dans les milieux juvéniles. On les a mis dans les universités, les centres de jeunes et de loisirs à Pobè, Bohicon, Kandi [plusieurs localités du Bénin] », s’est souvenu Achille Métahou, épidémiologiste VIH/SIDA, responsable formation, suivi et évaluation de projet de santé de la reproduction à OSV-Jordan. Cette initiative était partie d’un constat, a expliqué M. Métahou. « Les gens ne vont pas dans les centres de santé pour [chercher] les préservatifs. Ils craignent les regards devant les comptoirs de pharmacie et dans les boutiques ». Puis, « on a commencé par mettre les préservatifs dans les toilettes et quelques temps après, on a remarqué qu’ils disparaissaient. Nous en avons déduit qu’il y avait un besoin réel… d’où l’installation de ces distributeurs », a-t-il poursuivi. Mais le temps, et surtout les comportements inciviques, ont conduit l’initiative presque au bord de l’échec, à en croire les différents acteurs. « Il y a deux faiblesses qui expliquent les problèmes que rencontrent les distributeurs », a dit Jérémie Houssou, coordonnateur ventes et distribution pour le Programme de marketing social et de communication pour la santé, PSI-Bénin. « Ils sont régulièrement sabotés par les utilisateurs qui y mettent n’importe quelle pièce de monnaie, [et d’autre part] le cycle de remplissage n’est pas respecté car les gestionnaires, voyant l’utilisation que les consommateurs en font, ne veulent plus prendre le risque d’engager des frais inutilement ».

Le découragement

OSV-Jordan a confirmé ces difficultés. « On faisait un suivi périodique tous les mois, on avait même formé des pairs éducateurs pour orienter les cibles vers les distributeurs et les éduquer sur son exploitation, et cela évoluait positivement. Mais l’incivisme des populations a fini par prendre le pas. Les gens vont même jusqu’à utiliser les monnaies étrangères, pourvu qu’elles déclenchent le système ! », a déploré M. Métahou. L’absence de maintenance régulière peut aussi expliquer en partie la situation des distributeurs au Bénin. « Il n’y a pas eu de lignes budgétaires et on a eu des difficultés pour faire face à la maintenance », a-t-il dit. A cela il faut ajouter un manque de coordination et de prévision, a-t-il estimé. « Au départ la boîte de quatre préservatifs coûtaient 50 francs CFA, et les distributeurs de l’époque étaient [adaptés à des pièces de cette taille]. Aujourd’hui, avec le changement du label ‘Prudence’ en ‘Prudence Plus’ de PSI-Bénin, ce n’est plus à 50 mais à 100 francs CFA », a noté M. Métahou. « Ce changement de coût a beaucoup joué sur les choses, puisqu’on s’est trouvé dans l’incapacité d’utiliser les anciens distributeurs ». Pourtant, l’abandon de ces distributeurs automatiques serait une mauvaise nouvelle pour la lutte contre le sida, ont estimé plusieurs acteurs. « [Le distributeur] a l’avantage de renforcer l’accessibilité et la disponibilité du produit. Les gens vont facilement vers le produit, ça motive à l’utilisation et ça renforce la discrétion », a noté M. Houssou de PSI-Bénin.

Espoir malgré tout

L’arrêt de mort des distributeurs n’a cependant pas encore été signé, comme le montrent différentes initiatives. Après la phase de découragement, OSV-Jordan a annoncé reprendre son bâton de pèlerin et renégocier avec le FNUAP en vue de relancer l’expérience des distributeurs automatiques, en tirant les leçons des erreurs du passé. Le Projet Corridor, un projet régional de lutte contre le sida le long des axes migratoires entre Abidjan (Côte d’Ivoire) et Lagos (Nigeria), a également fait installer des distributeurs dans les localités frontalières. Les machines y fonctionnent sans discontinuer, a constaté IRIN/PlusNews. Des projets similaires sont également en cours au ministère de l'Eau et dans 13 mairies du nord du Bénin, dans le cadre d’un projet transversal de prévention appuyé par la coopération allemande et mis en œuvre par PSI-Bénin. Des initiatives nécessaires, selon plusieurs acteurs de la lutte contre le sida, qui estiment qu’il faut relancer l’intérêt des populations pour ce moyen de prévention de l’infection au VIH, l’utilisation du préservatif semblant connaître une tendance à la baisse ces dernières années. En 2007, 8,2 millions de préservatifs ont été vendus, contre 10 millions en 2004, selon PSI-Bénin, un désintérêt qui a accompagné la baisse du taux de prévalence du VIH au Bénin –autour de deux pour cent aujourd’hui- et qui pourrait en partie y être lié, les populations relâchant leur vigilance.

Godefroy Macaire CHABI

BÉNIN: Des relations sexuelles à risque, à la faveur de l'obscurité forcée

COTONOU, 24 juillet 2008 (PlusNews) - Alain*, un jeune habitant de Cotonou, se dit comblé : depuis que des délestages plongent régulièrement la principale ville du Bénin dans l’obscurité, il n’a plus à se préoccuper de payer une chambre d’hôtel pour avoir une relation sexuelle occasionnelle – un coin tranquille dans une rue sombre suffit. Dans de nombreux pays de la sous-région, l’explosion du prix du baril de pétrole au cours des derniers mois a entraîné une recrudescence des coupures d’électricité, dans des pays dont l’économie nationale se trouve dans l’incapacité de supporter les surcoûts liés au fonctionnement de la plupart de leurs centrales électriques. Depuis plusieurs mois, les délestages sont donc le lot quotidien des habitants de Cotonou. Tandis que la majorité de la population ne voit dans ces coupures récurrentes que des inconvénients, certains jeunes y trouvent, eux, des avantages. « Avant, je n’arrivais pas à faire régulièrement l’amour, car pour y arriver il faut amener la femme soit à la maison, soit dans une chambre de passage », a expliqué Alain, chauffeur de taxi dans une gare routière du quartier Jonquet, en plein centre de Cotonou. « C’était un grand souci pour moi, puisque cela implique qu’il faut en avoir les moyens ». Une chambre d’hôtel de passage lui coûtait entre 1 000 et 1 500 francs CFA (de 2,4 à 3,6 dollars), tandis que ramener une femme chez lui était risqué, a-t-il dit. « Ma vraie copine pouvait à tout moment me surprendre si je me hasardais à le faire. Aujourd’hui, il suffit que je guette l’obscurité pour me satisfaire ». Le quartier Jonquet a acquis une réputation sulfureuse, au-delà même des frontières du Bénin, en raison des nombreuses travailleuses du sexe qui y exercent et des hommes à la recherche d’une relation sexuelle occasionnelle qui les fréquentent. Jusqu’à il y a quelques mois, Jean-Marc*, un célibataire de 35 ans, n’osait pas trop venir dans cette zone, malgré son désir d’avoir des relations sexuelles. « Je n’ai pas de petite amie et … je fréquentais ce quartier à la recherche de prostituées, mais en même temps, j’avais très honte, car étant donné que c’est un quartier animé, j’ai toujours craint de me faire identifier », a-t-il expliqué à IRIN/PlusNews. Un souci qu’il n’a plus depuis quelques mois. « Maintenant, il y a régulièrement l’obscurité dans ce quartier et je n’ai plus honte, je fais tout ce que je veux », s’est-il réjouit. « [Une fois], ils ont coupé l’électricité toute la nuit », a raconté Pierre Ola, un étudiant de 22 ans. « J’ai passé tout mon temps dans un lieu calme et un peu isolé avec ma petite amie qui a avancé à ses parents de faux arguments pour sortir de la maison ». Comme Alain, Jean-Marc, Pierre et bien d’autres, de nombreux jeunes, limités par leur absence d’autonomie financière, la surveillance parentale ou la pression sociale, ont trouvé dans cette obscurité forcée un refuge.
« Le délestage ne fait pas que du mal, même si quelque part cela gêne l’économie et provoque des désagréments », a estimé Guy Gbété, un jeune mécanicien. « Au moins ça permet à la jeunesse de s’exprimer sexuellement. Car il y a trop de blocages actuellement pour nous, les jeunes ».

Inquiétudes

Ces délestages inquiètent en revanche des acteurs de la lutte contre le sida, qui y voient un facteur de risque de propagation des infections sexuellement transmissibles (IST), notamment du VIH, les conditions n’étant pas réunies pour favoriser des relations sexuelles protégées. « Une enquête nous a permis de savoir que dans certaines zones de Cotonou, beaucoup de choses se passent les nuits depuis que nous connaissons ces délestages, au mépris des règles de prévention [du VIH/SIDA] », a dit à IRIN/PlusNews Achille Métahou, d’OSV Jordan, une organisation non gouvernementale béninoise spécialisée dans la santé. « Il n’y a aucun doute que ceux qui profitent du délestage et de l’obscurité que cela induit pour faire l’amour ne respectent pas toujours les règles élémentaires en termes de protection », a-t-il affirmé. Maxime Akpé, un électricien moto, a confirmé que la précipitation dans laquelle avaient souvent lieu ces relations le conduisait parfois à l’imprudence. « Il m’arrive de porter des préservatifs, mais le jour où je suis très excité, j’oublie, surtout si la jeune fille est pressée de partir, je passe directement à l’acte », a-t-il avoué. Les inquiétudes des acteurs de la lutte contre le sida face à ce phénomène sont confortées par le fait que si le taux de prévalence du VIH au Bénin a baissé de manière significative ces dernières années, passant sous la barre des deux pour cent, selon les autorités, le taux d’utilisation du préservatif a connu la même tendance : 8,2 millions de préservatifs ont été vendus en 2007, contre 10 millions trois ans plus tôt, selon l’organisation internationale de marketing social PSI-Bénin. Les autorités béninoises se sont dites conscientes des effets néfastes des délestages, pas uniquement en ce qui concerne la lutte contre le sida et les IST. « Les conséquences s’observent dans tous les domaines actuellement. Voilà pourquoi nous faisons tout pour expérimenter toutes les solutions afin d’éviter des dérives sociales », a indiqué Nazaire Dossou, directeur général de la Société Béninoise d’énergie électrique. En attendant, certains jeunes se sont dits prêts à prendre leurs responsabilités, et à ne pas se laisser attirer par la facilité des rencontres à la faveur de l’obscurité. « Je crois que en tant que jeunes, nous devons prendre conscience d’une telle situation de délestage et voir quelles peuvent être nos propositions, plutôt que d’y voir un moment de dépravation », a affirmé Philippe Sounou, jeune comptable dans une entreprise privée de Cotonou. « De toute façon, ça peut être suicidaire, avec les nombreuses maladies qui circulent ».

*Patronyme occulté

Godefroy Macaire CHABI