mercredi 29 octobre 2008

BENIN : L’essence de la contrebande menace la sécurité des populations

Paul Kessou jure presque lorsqu’il en parle : « Je ne laisserai jamais cette activité, car c’est elle qui me procure encore le petit bonheur que je vis actuellement ». Et ce jeune de 28 ans et père de deux enfants n’entend faire aucune concession là-dessus.

Pourtant, ce commerce fait moins de bien que du mal dans le pays. Au Ministère du commerce, on estime à près d’un millier par année le nombre des victimes de l’essence au Bénin.

« Ce commerce fait des victimes chaque jour, l’Etat doit vraiment prendre ses responsabilités, dans un pays sérieux ce ne sont pas des choses à tolérer », a réagi Fatim Abdoulaye, une jeune commerçante du centre ville de Cotonou.

Cette essence est appelée « Kpayo », ce qui signifie en langue fon « mauvaise qualité », en raison de sa forte teneur en plomb, propice à la fumée qui s’échappe de l’échappement des motos et des véhicules qui l’utilisent.

La proximité du Bénin avec le Nigéria, grand producteur du pétrole favorise le développement de cette activité.

« Le long des zones frontalières du sud au nord du pays, des milliers de grossistes font entrer le produit sur le territoire national à un rythme inquiétant, et cela constitue aujourd’hui une vraie menace pour la sécurité des populations béninoises de l’intérieur», a informé le Directeur de la promotion du commerce intérieur, Claude Allagbé.

Un commerce dangereux


« N’importe qui achète et vend l’essence Kpayo, à partir de ce moment, on peut s’attendre à tout », s’est indigné Wilfrid Mongazi, spécialiste de l’environnement

Effectivement, la manipulation à grande échelle de l’essence a déjà créé d’énormes dégâts dans le pays, en provoquant de nombreux incendies.

En 2006 à Porga, une ville moyenne située à la frontière avec le Burkina Faso dans le nord du pays, des dizaines de personnes ont trouvé la mort en allant recueillir de l’essence qui s’échappait d’un camion citerne. Parmi ces personnes, des femmes, des enfants à bas âge et des bébés.

En Juin 2008, une pharmacie de Cotonou a été gagnée par des flammes lorsqu’un étalage d’essence se situant à proximité à pris feu.

En 2007, un homme est mort calciné à un grand carrefour lorsque le liquide qu’il transportait sur son engin s’est mis à couler pour toucher son moteur.

Au cours de la même année, un gendarme du nom de Narcisse Akpadji qui roulait sur son engin à une heure de pointe de la soirée à Cotonou a subi une brûlure mortelle, lorsque le bidon d’essence que transportait un taxi moto a explosé.

En 2006, à Ouagbo une campagne située à plus de 100 km de Cotonou, un camion qui fait régulièrement la transaction entre le Sud et le nord du pays s’est renversé et son contenu a pris feu faisant un mort.

Il a quelques jours, en voyant les bouteilles d’essence aux abords des principales voies de Cotonou, des occidentaux en visite au Bénin ont pensé que le pays était un producteur du vin. En apprenant qu’il s’agissait de carburant, ils se sont exclamés : « vous allez brûler tout le pays ! »

Un Etat dépassé parfois par la situation

Face à cela, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures : l’interdiction formelle du commerce de l’essence, la reconversion des vendeurs à d’autres activités et l’encouragement de la construction des stations trottoirs.

Cette dernière mesure s’applique avec satisfaction, plus de 150 stations trottoirs ayant été construites dans le pays depuis 2007, selon M. Allagbé.

Quant aux autres mesures, elles semblent marquer le pas pour diverses raisons.

L’opinion publique évoque la précipitation qui entoure les décisions sans tenir compte des facteurs sociologiques et les calculs politiciens des dirigeants, conscients du vivier électoral que représentent les acteurs de ce commerce.

Pour Bernard Dossou Dossa, Président de l’Association béninoise des consommateurs Que Choisir Bénin, « c’est l’Etat qui ne joue pas son rôle. Si on avait des responsables dignes du nom on en serait pas là »

Plus de 70% du marché de l’essence est dominé par l’informel, a indiqué M. Allagbé.

Dans tout le pays, il est facile de voir aux abords des rues des bouteilles disposées sur des tables, au mépris de toutes réglementations. De même, le spectacle des conducteurs de taxi motos transportant parfois sur un même engin trois ou quatre voire cinq bidons de 50 litres d’essence.

En 2005, a précisé M. Allagbé, 245 millions de litres d’essences en provenance du marché nigérian ont regagné les rues du Bénin contre 36 millions de litres dans les stations réglementaires. En 2007, l’essence du marché noir a atteint 551 millions de litres pendant que le marché formel n’a commercialisé que 81 millions de litres.

Le litre de ce carburant est vendu à 375 FCFA contre 650 FCFA dans les stations service.

Godefroy Macaire CHABI

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