Faire son stage par l’Internet et le Téléphone
Décidément, les technologies de l’information et de la communication révolutionnent tout !
Depuis septembre 2006, la Fédération Mondiale des Journalistes scientifiques (WFSJ) mène une expérience inédite. 60 journalistes d’Afrique anglophone, francophone et arabophone s’entraînent à mieux informer sur la science dans les médias. Pendant deux ans ils reçoivent l’aide des meilleurs journalistes scientifiques de la planète, des spécialistes recrutés sur tous les continents, à mille lieues de chez eux. C’est le « Programme de mentorat par les pairs ». Une initiative impensable sans l’Internet et sans la téléphonie internationale « gratuite » que rend possible le logiciel Skype.
Par Godefroy Macaire CHABI
David Ya, journaliste ivoirien à Fraternité Matin n’aurait jamais pu profiter de l’expérience de Gilles Provost, journaliste scientifique à Radio-Canada, un vétéran crédité de plus de 25 années d’expérience si le programme de mentorat par les pairs ne lui en avait pas offert l’opportunité. Depuis bientôt 10 mois, David et trois autres journalistes d’Afrique suivent les conseils de Gilles sur des sujets scientifiques qui leur tiennent à cœur et sur lesquels ils éprouvent des difficultés d’approches et d’angles de traitement. Chaque semaine, ils sont en contact avec leur mentor par l’Internet pour lui faire des propositions de sujets, et en retour, ils reçoivent des suggestions sur la conduite professionnelle de leurs articles et de leurs émissions. Gilles Provost affirme « ne pas se lasser de s’adonner à cette tâche ». Malgré les distances et les réalités contrastées, ils arrivent à s’entendre sur les angles de traitement et les ingrédients des articles. C’est ainsi qu’il a pu aider, grâce à des échanges de courriers électroniques, Louise Ngo Pom, mentorée du Cameroun et animatrice de l’émission Mini-Science sur les ondes d’une station de radio des Nations Unies au Cameroun, à cibler ses centres d’intérêts sur le lien entre jeunes et scientifiques, la problématique centrale de l’émission.
« J’essaie aussi d’orienter par Internet et par Téléphone les journalistes africains vers des ressources locales et des intervenants facilement accessibles comme des médecins dans des hôpitaux » a confié Gilles provost.
Comment Patrice Goldberg, Rédacteur en Chef de l’Emission scientifique « Matière grise » à la RTBF aurait –il pu se rapprocher de Rahmane Mbengue du Sénégal, de Anselme Nkinsi de la République démocratique du Congo et de ses deux autres mentorés s’il ne faisait pas confiance aux possibilités que lui offre la messagerie.
Christina Scott qui travaille en Afrique du Sud pour SciDev.net, un réseau mondial d’information sur la science et le développement fait office de mentor dans ce programme. Elle confie qu’elle « ne pourrait pas mener à bien le mentorat sans le courrier électronique » Mieux que cela, elle affirme surtout utiliser régulièrement le logiciel de conversation skype, pour interagir avec ses quatre mentorés tous situés en zone anglophone. Le skype est un service de téléphone gratuit fonctionnant sur Internet et qui permet de faire des appels dans le monde entier.
Plusieurs conversations téléphoniques se sont faites ainsi par l’intermédiaire de Skype.
«Au vu de la vitesse de la circulation de l’information, on ne saurait s’en plaindre » indique Mame Aly Conte, journaliste à Sud Quotidien, lui-même faisant partie de la cohorte. Il poursuit « l’Internet et le téléphone sont les deux outils qui ont été le plus utilisé dans mes rapports avec mon mentor. Il s’agit de deux supports essentiels »
Non seulement le Skype facilite les échanges entre les différents participants au programme. Mais, il a permis jusque là à des journalistes africains dont les revenus sont très limités à avoir des entrevues journalistiques avec des personnes ressources et des experts étrangers, sans avoir à beaucoup dépenser.
Tout au début du programme, il y a eu une rencontre physique entre les mentorés et leurs mentors à Nairobi au Kenya. Pour beaucoup de mentorés, c’était presque une illusion de réussir une telle formation en misant majoritairement sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A la fin d’une séance sur l’utilisation de ces outils, Mahamane India Abdramane, journaliste à la Radio Nationale nigérienne se demandait encore comment il pouvait atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, il ne se pose plus la question. D’ailleurs, il confie que malgré certaines difficultés liées à la vitesse d’accès « l’utilisation de l’Internet est importante. Sans l’Internet je ne vois pas la faisabilité d’une telle entreprise ».
Bonne camaraderie et entraide
A côté des échanges entre mentors et mentorés, l’enrichissement du débat réside également dans les rapports inter-mentorés et inter-mentors. Dans cette dynamique, il est quasi-impossible de passer sous silence la partition jouée par ces technologies.
Pour réaliser un reportage sur l’usage des téléphones portables et leur impact sur les activités économiques, Aimable Twahirwa, Correspondant de Inter Press Service au Rwanda a dû recourir non seulement aux conseils de son mentor, Armand Faye du Sénégal, mais aussi aux avis de ses camarades mentorés de plusieurs pays. Par le biais du clavier de son ordinateur, il a, en quelques heures, fait le tour de plusieurs collègues qui lui ont fait des propositions. Rivonala Razafison de Madagascar s’est promené en quelques minutes entre le Bénin, le Sénégal, l’Algérie, le Kenya, le Nigeria pour s’informer sur les taux de prévalence du VIH sida dans ces pays afin de compléter un article urgent qu’il devrait soumettre à son journal.
Non seulement, le programme en soi permet de briser « l’isolement qui afflige de nombreux journalistes intéressés à couvrir les sciences et la technologie en Afrique » comme l’exprime Gervais Mbarga, Coordonnateur francophone du Programme de mentorat par les pairs, mais aussi grâce aux outils technologiques modernes de sa mise en œuvre, il en découle un décloisonnement des rapports entre journalistes francophones et leurs collègues des parties anglophone et arabophone. A un niveau plus élevé, on observe la chute de la glace entre journalistes africains et ceux du Moyen Orient, parties également au programme.
Les mentors se réjouissent également de savoir qu’ils peuvent cuisiner à distance des projets au profit de leurs mentorés sans éprouver la moindre difficulté. Ainsi, Sophie Coisne, mentor française a pu décrocher la participation de 15 journalistes issus du programme à la conférence francophone sur le Sida en France en mars 2007 en échangeant beaucoup de courriels et de coups de fil avec son collègue Gervais Mbarga du Cameroun.
Le « WE », une plate forme d’échanges et de discussions
Le programme s’est amorcé par des échanges téléphoniques, qui ont permis aux pairs de faire connaissance et de s’entendre sur les grandes lignes de la collaboration. Cette étape a été rapidement suivie et complétée par la mise en œuvre d’un site web privé spécialement dédié au programme. Ce site dénommé le WE représente une véritable interface qui concentre l’essentiel des connaissances indispensables pour l’atteinte des objectifs du programme. Ainsi des cours sur le journalisme sont mis en ligne sur cette plate forme (actuellement on compte trois leçons). Fait original, c’est la première fois que des cours de journalisme scientifique sont mis en ligne. Le premier cours en ligne a été réalisé avec le concours de SciDev.net et aborde les aspects théoriques et pratiques du journalisme scientifique. Comment réussir son interview en journalisme scientifique ? Comment définir son angle de traitement ? Comment raconter une histoire décalée et originale ? Autant de questions abordées et qui font l’objet de discussions et d’échanges entre les mentorés et des animateurs. Fatiha Nour, journaliste à la radio algérienne a suivi avec émerveillement les deux premiers cours dispensés dans un cybercafé de Nairobi lors de la rencontre face-à-face des pairs en novembre 2006.
En plus des discussions d’ordre général, il faut également s’inscrire à des ateliers à distance. Aimable Twahirwa du Rwanda s’est inscrit à plusieurs travaux et conseille aux autres mentorés d’en faire autant. « Je trouve que les débats sont très enrichissants », se satisfait-il.
Le WE renferme également une passerelle d’échanges de courriels liant intimement le mentor et son mentoré, garantissant ainsi un minimum de discrétion. Sauf que, l’administrateur principal du site est en mesure de suivre le rythme des discussions et l’intérêt que cela suscite au niveau des différents intervenants. Une sorte d’évaluation qui permet également de corriger progressivement les imperfections technologiques.
A plusieurs reprises, Augustin Denis, surveillant technique du WE, basé au Canada s’est déjà inquiété du sort de beaucoup de mentorés absents sur le WE.
Mahmane India Abdramane laisse par exemple entendre : « certains comme moi rencontrent des difficultés d’accès au WE. Je suis présentement en contact avec Augustin Denis pour débloquer la situation. J’aurai bien aimé rencontrer les autres sur le forum de discussion. Je suis en train de me battre pour cela ».
Ce problème que rencontre India n’est pas commun à tout le monde et reste plus en relation avec les capacités des pays à offrir un accès Internet à grande vitesse aux utilisateurs. Pour des mentorés du Bénin autrefois confrontés à cela, il s’agit plutôt de vieux souvenirs.
Jean Marc Fleury, Directeur Général de Fédération mondiale des journalistes scientifiques, initiateur du programme reste tout de même confiant : « nous trouverons des solutions définitives à ce problème, car nous y réfléchirons ». Pour l’heure, rien n’est encore perdu pour India et les quelques rares personnes qui rencontrent les mêmes problèmes. Ils continuent les échanges avec leurs encadreurs par courriel ordinaire ou par skype.
Autre avantage perceptible, c’est l’autonomie et les marges de manœuvre que le WE laisse aux mentorés d’agir directement et utilement sur le site en ajoutant des liens web susceptibles d’intéresser les autres membres du groupe où qu’ils se trouvent. Des ressources d’informations scientifiques de grande valeur ont ainsi pu être exploitées pour des productions de presse.
Découverte et apprentissage
Avant le démarrage de cette formation, beaucoup de journalistes africains avaient une connaissance assez vague et très peu soutenue des multiples potentialités qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Pour la plupart, ils n’étaient habitués qu’à la messagerie. Les autres services leur étaient étrangers. Par exemple, Jérôme Bigirimana de la Radio Nationale du Burundi n’avait pas encore entendu parler d’un moteur de recherche comme Google. « C’est formidable ! » s’exclame t-il lors d’un exposé pratique sur la recherche par Internet à Nairobi. Depuis, il connaît par cœur, non seulement Google, mais beaucoup d’autres moteurs qui lui permettent de retrouver des ressources documentaires pour ses papiers. Tout récemment à Paris, lors d’une rencontre scientifique (Ndlr : La conférence francophone sur le Sida), il n’a pas eu besoin d’un coup de pouce pour effectuer ses recherches dans la salle de presse où il travaillait. Anselme Nkinsi du Congo démocratique sait qu’il peut désormais retrouver en un clic les scientifiques de son pays et leurs travaux pour étoffer son travail.
Très peu de journalistes africains savaient également qu’on pouvait dialoguer en se servant du logiciel Skype ou en passant par le Yahoo Messenger ou le Msn de hotmail. Ces lacunes sont désormais corrigées.
Mame Aly Conte du Sénégal et Aimable Twahirga du Rwanda conversent plusieurs heures par jour pour échanger sur des sujets et partager des informations. Chacun d’eux a pu installer les logiciels de conversation sur son ordinateur.
« Ce programme de mentorat a été pour les journalistes une véritable initiation aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ils ont découvert les trésors d’information insoupçonnés qui deviennent accessibles grâce à Internet, au-delà des simples courriels », reconnaît Gilles Provost, mentor canadien
Les avantages qu’ils en tirent pourraient inspirer les médias africains à avoir leurs propres liens Internet qui permettraient aux journalistes de communiquer instantanément avec le monde entier.
Et déjà des points de marqués
L’Internet, le téléphone, des échanges et le tour est joué pour que des journalistes qui s’intéressaient à peine à l’information scientifique démontrent progressivement des capacités professionnelles évidentes.
Rivonala Razafison a pu décrocher récemment à Madagascar le Prix du journalisme écologique rien qu’en discutant par ces technologies nouvelles avec son mentor Sophie Coisne. Au Cameroun, Cathy Yogo, Journaliste à Mutations et stagiaire aussi, a remporté une bourse du Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI) pour réaliser des projets de recherche sur l’information scientifique en Afrique.
Dans les radios, télévisions, cyberjournaux et les journaux dont les agents participant au programme, des sujets scientifiques signent remarquablement leur présence. Car chaque semaine, en dehors des conseils, les stagiaires recherchent et proposent à leurs mentors des sujets adaptés aux réalités du continent africain. Lesquels sujets sont ensuite traités, critiqués et renvoyés pour diffusion et publication dans leurs médias.
Dans le groupe de Armand Faye, mentor sénégalais, Makéba Tchibozo du Bénin expose avec intérêt le défi que cela représente pour elle de soumettre chaque semaine deux papiers. « Ce qui me fait plaisir, c’est que mes papiers sont repris systématiquement dans mon journal. Au moins cela me permet d’être productive en abordant des questions utiles comme l’environnement, la santé, la pollution etc» se réjouit-elle.
Même si le problème n’est pas encore définitivement solutionné ailleurs, les populations en Afrique restent encore à se demander ce que la science leur apporte et comment elle arrive à résoudre les problèmes du quotidien auxquels elles sont confrontées. L’initiative qui est en train d’éclore grâce aux pouvoirs des technologies va permettre d’induire des réflexions positives sur la question. Car les médias vont influencer dans leur travail la rigidité affichée parfois par les décideurs dans leurs politiques au profit des travaux scientifiques.
Indicateur majeur dans cette voie, les jeunes poucets de ce programme se mettent déjà à créer dans leurs pays des associations nationales de journalistes scientifiques.
Au Nigeria, Augustine Abutu a réussi à convaincre beaucoup de ses confrères autour de la cause. Le rubicond est également franchi au Bénin et au Rwanda depuis quelques mois. Beaucoup d’autres pays attendent de leur emboîter les pas, comme Madagascar.
Tout récemment dans un bilan d’étape adressé au groupe francophone de stagiaires qu’il manage, Gervais Mbarga, coordonnateur francophone du Programme indique que « la communauté semble admirer le travail que les mentors et mentorés abattent au quotidien par une synergie exceptionnelle ».
En cherchant de son côté à déceler d’autres retombées que secrètent les mécanismes modernes de mise en œuvre du programme, Isaac, Mentor francophone y voit « une initiative pour éviter la fuite des cerveaux dont l’Afrique est victime ». Car, en réalité les apprenants n’ont plus besoin de quitter leurs pays et peuvent établir une simultanéité entre la formation et la vie professionnelle.
En tout cas, « l’initiative du mentorat facilitée par les merveilles des TIC va encore démocratiser dans les prochaines années en Afrique le journalisme scientifique encore perçu comme la chasse gardée des médias du nord », a laissé entendre un responsable d’organe de presse au Bénin. L’information sur la science restait jusque là polaire et une vraie quête, voire un projet encore difficile à réaliser dans la plupart des médias africains. Une bonne carte à jouer maintenant pour le développement des fragiles économies et l’accomplissement intégral des individus dans la voie de la maîtrise des problèmes environnementaux et de pauvreté auxquels le continent africain est encore confronté. A Melbourne en Australie où elle était présente en avril 2007 à l’occasion de la 5ème conférence mondiale des journalistes scientifiques, Cathy Yogo, mentorée camerounaise a émis le vœu que le programme influe sur le débat concernant le changement climatique. Dans la même cordée, Augustine Abutu du Nigeria souhaite que le travail de la nouvelle génération de journalistes avertis sur les questions scientifiques impacte positivement le quotidien des populations africaines.
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